Ça y est, je le suis.
J’ai toujours pensé que les journaux ne pourraient me servir que si ils servaient réellement, à soi, et éventuellement aux autres. Je n’ai jamais pu écrire ma vie juste pour écrire ma vie. Il me fallait toujours un point de départ. Un déclencheur. Un but, même si je le découvrais en cours de route. Quand j’étais ado, j’ai écrit un journal pendant un an. Pourquoi un an ? Parce que c’était la période où je venais de quitter définitivement le lycée, que j’etais profondément déprimée et complètement perdue. Quand je l’ai fini, j’ai décidé que c’était le moment, parce qu’on était un an après que ma vie ait basculée. Ce n’était pas calculé. Mais j’ai senti que je DEVAIS commencer un journal, pour mon bien, pour aller mieux, tenter de comprendre, pourquoi j’etais là et mieux supporter l’echec, l’abandon, et le renoncement au combat. Écrire est infiniment plus simple que parler pour moi, alors ça m’a beaucoup soutenu. Et pour finir, c’était pareil, j’ai senti que je le DEVAIS, pour boucler la boucle, passer à autre chose, puisque j’allais mieux. Et je n’ai plus jamais eu ce besoin impérieux de compléter un cahier que je remplissais pourtant quasiment quotidiennement. Parce que son but avait été atteint.
Cette fois, j’avoue qu’il est particulièrement difficile d’imaginer un élément plus déclencheur que celui-ci. À partir d’aujourd’hui, je dois accepter de vivre avec une nouvelle identité, et faire ma vie avec elle. Alors à nouveau, j’ai senti que je DEVAIS. Et je ne sais pas pour combien de temps.
Ça a commencé depuis ma naissance, depuis que mes parents, les adultes en général, m’ont trouvé différente des autres enfants. Et depuis que moi, du haut de mes 9 ans, je me sentais aussi différente. Et puis, il y a eu des difficultés sociales chaque fois plus fortes. Chaque année, le gouffre entre le monde et moi se creusait. D’abord avec mes camarades, au collège, un peu en primaire aussi, c’est vrai, mais surtout au collège. Rejet, isolement, harcèlement… et puis les cours par correspondance après trois mois de lycée déjà chaotiques et mon journal d’ado. Et puis, avec mes rares amis, aussi. Et puis avec le monde entier, quand je me suis retrouvée totalement seule et que je faisais des crises à chaque fois que je mettais un pied dehors.
Mais c’est surtout depuis ma 3e année de licence. Tout allait bien, je réussissais, je travaillais seule chez moi, et du jour au lendemain, mon mental a craqué. Je me suis tant affaiblie, psychiquement, physiquement, que j’ai arrêté des études brillantes.
J’ai pris une année sabbatique. Je me suis dit que j’etais peut-être juste très fatiguée, mais quand j’ai repris mes études, j’ai tenu encore moins longtemps avant que ça ne recommence. Je n’etais plus capable de rien faire et encore moins de me concentrer, je me sentais glisser vers un échec qui, avec mes idees noires, aurait pu être très lourd de conséquence.
C’est le psy qui m’a dit que j’avais peut-être ça. Je ne pensais pas que c’était possible sans le savoir. Mais après discussion et renseignement, j’ai appris qu’en fait, ce n’était pas rare, que beaucoup de gens reussissent à s’adapter au point que personne ne peut remarquer l’autisme derrière la montagne de déguisement de normalité. C’est ce qu’on appelle "faire le caméléon". Jusqu’au jour où la comédie devient trop lourde à supporter. Et que le masque se fissure. Quand il le fait, ce n’est pas en silence…
J’ai appris que cela arrivait surtout pour les filles, parce que les traits autistiques sont moins marqués ou différents, qu’elles s’adaptent souvent mieux que les garçons. J’ai surtout commencé à comprendre que c’était en effet bien possible. Pour le psy, je devais faire un bilan au Centre Ressource Autisme, ils etaient les meilleurs pour faire un diagnostic…
En tout, il y a eu presque deux ans d’attente. Deux ans de doute. Deux ans à vouloir revoir ma vie sous cet angle, mais sans oser parce que je n’étais pas encore sûre. Deux ans de grands bouleversements mentaux et de jours passés à m’interroger. Un jour, c’etait sur, je l’étais. Le lendemain, non, je ne l’étais pas en fait…
Au CRA, j’ai passé un premier entretien. Puis, comme il était concluant, toute une série de tests. Des tests pour les compétences sociales, des tests pour mon fonctionnement cérébral, des entretiens filmés, des questions sur ma vie. Un test de QI. Des descriptions d’images, des questionnaires. Des échelles pour mes parents, qui devaient répondre a des questions sur les premières années de ma vie…
Honnetement, j’avais peur que ce ne soit pas ça. Pas parce que je voulais être autiste. Qui voudrait ça ? Mais parce que toutes ces démarches sont très fatiguantes, que les faire pour rien était décourageant, et que j’espérais enfin avoir des réponses à toutes ces choses. Je me sentais perdue, je ne savais plus quoi faire, et je ne savais pas comment j’allais faire pour faire ma vie avec autant de limitations, sans réponse.
Et puis hier, voilà. Résultats positifs à tous les tests sans exception. Fonctionnement cérébral typique. Unanimité de l’équipe. Profil classique, tout concorde, aucun doute permis.
Diagnostic : Trouble du Specte Autistique, et plus précisémment, Syndrome d’Asperger.
Je pense donc qu’écrire mes pensées mélangées peut m’aider. À accepter ce diagnostic, à réaliser que je suis… et bien, autiste. À avancer un peu. À soulager un peu cette sensation d’irréalité qui m’étreint. E
Je me suis tellement adaptée pendant des années… 20 bonnes années… que j’ai entraîné mon psychisme et ma santé au bord du gouffre. Actuellement, c’est ainsi que mes interruptuons d’études s’expliquent. À force de devoir s’intéger, mon corps et mon cerveau se sont épuisés.
Je ne sais pas quand je ressentirais que le moment est venu d’arrêter, mais je sais qu’il est venu de commencer. Il est tellement plus simple pour moi d’écrire que de parler… J’ai déjà écrit ma gie, maintenant je l’écris en tant qu’Asperger… j’espère que ça m’aidera.
Ah, oui, je pense le rendre public. Tout ce qui peut faire tomber les préjugés et faire mieux connaître le syndrome… Ne serait-ce pas plus utile encore comme ça ?